Ah, vous voilà enfin ! Je vous attendais, oui. Comment je savais que vous alliez venir ? Je le savais, c'est tout, ne posez pas de question. Installez-vous plutôt, et confortablement. Voilà, comme cela. On n'attendait plus que vous pour commencer. Vous êtes prêts ? Écoutez ce que j'ai à vous raconter...

Comme toutes les histoires, la mienne commence par il était une fois. Il était donc une fois un homme. Cet homme s'appelait Gustave. Prénom fort rustre, j'en conviens. Néanmoins, aucune des personnes qui avait osé critiquer le prénom de ce cher Gustave n'était encore en vie. Je vous conseille donc de garder pour vous vos pensées nuisibles, et de m'écouter. Ce cher Gustave avait donc décidé d'emménager dans la charmante petite bourgade de Santa Mondega. Il avait entendu bon nombre de bruits qui courraient à son sujet, mais rien ne l'arrêtait. Il avait envie de visiter du pays. Lorsqu'on lui avait dit Santa Mondega, il s'était imaginé une jolie petite ville avec de charmantes maisonnettes aux toits de paille. Peut-être comme vous. Sachez que si c'est le cas, vous vous fourrez le doigt dans l'oeil jusqu'à l'épaule ; comme lui. Et ça pisse le sang, croyez-moi. La première chose que fit Gustave devant l'accueil chaleureux de la ville fut de s'acheter un revolver ; lorsque le patron du premier bar dans lequel vous entrez se balade avec une arme bien en évidence à la ceinture, il y a de quoi se poser des questions. Pourtant, on l'avait prévenu. C'est ça, Santa Mondega. En cadeau avec le revolver, le vendeur donna un crucifix à notre aventurier. Celui-ci s'étonna tout d'abord, mais l'homme lui expliqua que c'était plutôt un porte-bonheur ici. Gustave répondit qu'il n'était pas croyant, mais l'autre insista. Finalement, il le prit, et partit. Dès qu'il fut sorti, il le jeta dans la poubelle la plus proche. Qu'est-ce qu'il allait faire avec un crucifix, je vous le demande. Pourtant, lorsqu'il se mit à se promener dans la ville, il remarqua que tout le monde en portait un en argent autour du cou. Sans peurs et sans reproches, Gustave finit par arrêter un homme dans la rue, et lui demander poliment la raison pour laquelle tout le monde arborait une petite croix. D'abord, l'autre le prit pour un fou. Avant de réaliser que ce n'était qu'un étranger. Il lui expliqua alors. Pendant longtemps, il y avait des hommes, à Santa Mondega, des sortes de... De mercenaires. Ils enquêtaient sur toutes sortes de meurtres, et tuaient beaucoup de gens suspectés de faire des choses assez affreuses. Et bizarres. Surnaturelles. Ces hommes portaient toujours un crucifix sur eux, allez savoir pourquoi. Mais toujours est-il que cela semblait les protéger. Alors, lorsqu'ils ont disparu, il y a quelques mois de cela, les gens se sont mis à en porter. Gustave s'interrogeait toujours ; pourquoi ? Parce que, expliqua l'homme. Le nombre de disparitions et de meurtres est devenu alarmant, depuis que ces mystérieux mercenaires ont arrêté de parcourir Santa Mondega. Alors les gens se protègent comme ils peuvent. Comme ils croient pouvoir. Entre nous, avait ajouté l'homme, il se passe trop de choses étranges ici. Et si vous ne croyiez pas au surnaturel, vous feriez bien de vous y mettre. Un de ses collègues avait vu son frère se transformer en un gros chien, comme ça. Par magie. La vieille femme du palier d'au-dessus avait juré avoir vu son mari se faire vider de son sang par une morsure au cou. Les voisins d'en face prétendent que leur fille arrive à soulever et faire léviter un crayon rien qu'en le regardant. Certains disent même que les démons existent, et qu'ils projètent s'emparer la ville. Gustave se mit à rire au nez de son interlocuteur, en disant que ce ne sont que des contes de grand mère, des histoires à dormir debout. L'autre persifla, lui répliquant qu'il croyait ce qu'il voulait. Toujours est-il que depuis quelques temps, des types bizarres arrivent en ville. Ils disent qu'ils chassent le démon. Qu'ils tuent des monstres. Étrange, hein ? Il y en a qui disent que les mercenaires sont en vérité toujours en ville, mais que certains d'eux étaient des monstres. Et que maintenant ils n'ont plus le droit d'exercer. Pourquoi ? demandait encore Gustave. Qu'est-c'j'en sais ? grognait l'autre. C'est ce qu'on raconte. En attendant, il ferait mieux de s'équiper d'un crucifix avant de se faire placarder au mur. Surtout que le soleil se couche... Sur ces mots mystérieux, l'air de prendre conscience de l'heure avancée, l'homme partit précipitamment. Gustave resta seul. La tête pleine de questions, les esprits embrouillés. Alors il se décida par prudence tout de même à ne pas faire son fier. Et à retourner chercher le crucifix qu'il avait jeté. Au cas où. Il se dépêcha de retourner dans la ruelle, et se mit à fouiller la poubelle. Mais soudain, une voix mélodieuse attira son attention. Un homme, très beau, lui demandait ce qu'il cherchait. Ça ne le regardait pas ! Et c'est ce que lui répondit Gustave. L'autre déclara alors qu'il avait faim. Et qu'il l'invitait à dîner. Notre héros lui demanda s'il avait de quoi payer, histoire de ne pas se faire arnaquer. L'étrange homme répondit affirmativement, sûr de lui. Il indiqua à Gustave le restaurant, le faisant passer devant. Celui-ci abandonna la recherche de son crucifix. Lui aussi avait faim. Mais soudain il se sentit attrapé par la veste. Et une douleur vive au cou le fit hurler. Quelques dizaines de secondes plus tard, il s'effondrait, mort. La fin de Gustave.

Oui, l'histoire de notre cher et aimé Gustave, l'ignorant étranger, est bien finie. Si vous ne voulez pas finir comme lui, je vous conseille d'écouter ce que vous disent les inconnus, mes enfants. Enfin. Seulement ceux qui portent un crucifix. Pour le reste, la ville appartient aux démons et aux créatures de la nuit. Et personne ne peut vous aider. À Santa Mondega, c'est chacun pour soi.

(c) Contexte by Paradox.
Toute reproduction interdite.